Recevabilité d’une preuve illicite
(Cour de cassation, chambre sociale, 14 février 2024, n°22-23.073)
Lorsqu’un système de vidéosurveillance, destiné à la protection et à la sécurité des biens et des personnes dans les locaux de l’entreprise, permet de contrôler et de surveiller également l’activité des salariés, l’employeur doit informer ces derniers et consulter le CSE sur la mise en place du dispositif. La jurisprudence considère qu’à défaut de respect par l’employeur de cette procédure, le moyen de preuve tiré des enregistrements vidéos est illicite (Cour de cassation, chambre sociale, 10 novembre 2021, n°20-12.263).
Toutefois, la jurisprudence récente considère que l’illicéité d’une preuve n’entraine pas nécessairement son rejet des débats. Dans un premier temps, le juge doit s’interroger sur la légitimé du recours par l’employeur à la vidéosurveillance. Dans un second temps, le juge doit vérifier si l’employeur ne pouvait pas mettre en place d’autres moyens, plus respectueux de la vie privée du salarié, à la place de la vidéosurveillance. Enfin, le juge va apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée à la vie privée du salarié au regard de l’objectif poursuivi.
Dans cette récente affaire du 14 février dernier, un système de caméras de surveillance avait été mis en place à des fins de protection des personnes et des biens au sein des locaux d’une entreprise. Aucune information des salariés et du CSE n’avait été réalisée au préalable.
En raison d’anomalies sur des stocks, l’employeur a décidé de visionner les enregistrements vidéos qui ont permis de constater qu’une salariée était à l’origine des écarts injustifiés dans les inventaires. L’employeur a décidé de la licencier pour faute grave.
La salariée va contester son licenciement, en rappelant que cette preuve n’est pas licite, qu’il existait des moyens de preuve plus respectueux de sa vie privée et que cela portait une atteinte disproportionnée à sa vie personnelle au regard du but poursuivi.
Pour les juges du fond et la Cour de cassation, la production des données personnelles issues du système de vidéosurveillance était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et proportionnée au but poursuivi. Les pièces litigieuses étaient donc recevables, même si l’employeur n’avait pas respecté la procédure d’information des salariés et de consultation du CSE.
Le délai de prescription des sanctions est de 3 ans
(Cour de cassation, chambre sociale, 14 février 2024, n°22-22.440)
L’article L. 1332-5 du code du travail pose un délai de prescription des sanctions disciplinaires qui est de 3 ans. Concrètement, cela signifie qu’un employeur ne peut, en aucun cas, invoquer une sanction antérieure de plus de 3 ans pour sanctionner plus lourdement une nouvelle faute commise par le salarié.
Il convient de tenir compte d’un éventuel délai de prescription prévu par la convention collective ou par le règlement intérieur de l’entreprise. Si ce dernier est inférieur à 3 ans, alors c’est ce délai de prescription qui s’appliquera car plus favorable au salarié.
Dans le cas d’espèce, un salarié a reçu une mise à pied disciplinaire le 8 janvier 2014 suite à des faits d’insubordination et d’abandon de poste. Le 3 février 2017, il reçoit une convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement. Le salarié va saisir le conseil de prud’hommes d’une contestation de son licenciement.
Les juges du fond vont confirmer la licéité du licenciement, et rappellent que le salarié a bien commis des manquements à ses obligations contractuelles, auxquels s’ajoutaient des faits d’insubordination et d’abandon de poste déjà sanctionnés en janvier 2014.
La notification de licenciement mentionnait expressément les faits sanctionnés en 2014 : « ce n’est pas la première fois que nous devons faire face à un comportement inapproprié de votre part. En effet, en janvier 2014, nous vous avions notifié une mise à pied de deux journées suite à une insubordination et un abandon de poste ».
La Cour de cassation va, quant à elle, cassé l’arrêt d’appel en rappelant l’article L. 1332-5 du code du travail et la prescription des sanctions disciplinaires qui est de 3 ans. En effet, au moment de l’envoi de la convocation à l’entretien préalable à licenciement, la mise à pied prononcée en 2014 était déjà prescrite. L’employeur ne pouvait donc pas justifier le licenciement du salarié en tenant compte de cette précédente sanction disciplinaire.
A ce titre, le licenciement prononcé est sans cause réelle et sérieuse.
La preuve des heures de travail accomplies peut se faire par tout moyen, en l’absence de système fiable de mesure du temps de travail
(Cour de cassation, chambre sociale, 7 février 2024, n°22-15.842)
En matière de contrôle des temps de travail, l’article L. 3171-4 du code du travail impose à l’employeur de fournir les éléments de nature à justifier des horaires effectivement réalisés par le salarié. En cas de litige, le juge examinera les éléments apportés par l’employeur et par le salarié et formera sa conviction.
La jurisprudence européenne est quant à elle plus sévère. Elle demande que chaque Etat membre impose aux employeurs de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du travail quotidien des salariés (CJUE, 14 mai 2019, n°55/18).
Dans cette affaire du 7 février 2024, une salariée a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, assortie d’un rappel d’heures supplémentaires. A l’appui de sa demande, la salariée transmettait un tableau récapitulatif des heures effectuées, des relevés journaliers qu’elle avait établi ainsi que des témoignages de collègues de travail qui affirmaient qu’elle prenait des temps de pause réduits et qu’elle effectuait beaucoup d’heures supplémentaires.
De son côté, l’employeur produisait les bulletins de salaire, un cahier de relevés des heures de travail quotidien qu’il remplissait lui-même de manière manuscrite et des témoignages contraires à ceux apportés par la salariée.
La Cour de cassation va rappeler le principe selon lequel l’employeur doit mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque salarié. Toutefois, la Haute Juridiction va temporiser le principe instauré par la jurisprudence européenne et précise que l’absence de mise en place d’un tel système ne prive pas l’employeur de son droit de soumettre aux débats tout élément de fait ou de preuve quant au nombre d’heures de travail réellement accomplies.
En effet, limiter les possibilités de preuve de l’employeur qui ne dispose pas d’un tel système entacherait l’équilibre du système probatoire.
En conséquence, la Cour de cassation a considéré que les éléments de preuve apportés par l’employeur étaient recevables.