Dans une récente décision, la chambre sociale de la Cour de cassation reconnaît, pour la première fois, un droit d’accès étendu du salarié à ses échanges électroniques professionnels.
L’affaire concernait un salarié licencié pour faute grave, après une mise à pied conservatoire. Celui-ci avait sollicité l’accès à sa messagerie professionnelle, se fondant sur le droit d’accès prévu par le Règlement général sur la protection des données (RGPD – règlement UE 2016/679 du 27 avril 2016). N’ayant reçu aucune réponse de son employeur, il avait obtenu gain de cause devant la cour d’appel, qui avait condamné l’entreprise à lui verser des dommages-intérêts pour avoir manqué à son obligation.
L’employeur avait contesté la décision en soutenant notamment que les courriels échangés par le salarié dans le cadre de ses fonctions ne constituaient pas des données personnelles au sens du RGPD, et qu’en tout état de cause, le droit d’accès aux données ne confère pas automatiquement un droit à consulter les documents contenant ces données.
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Des courriels considérés comme des données personnelles
Selon l’article 4 du RGPD, toute donnée permettant d’identifier directement ou indirectement une personne physique est une donnée personnelle.
Sur cette base, la Cour de cassation a tranché : les e-mails envoyés ou reçus via la messagerie professionnelle du salarié sont bel et bien des données à caractère personnel.
Les juges estiment que le salarié a la possibilité d’accéder à l’ensemble des courriels qu’il a envoyés ou reçus, y compris leur contenu et les informations techniques qui les accompagnent (dates, heure, destinataires, etc.). Cette obligation de transmission pèse sur l’employeur, sauf à démontrer que leur divulgation porterait atteinte aux droits et libertés d’autrui.
Ce raisonnement découle de l’article 15 du RGPD, qui accorde à toute personne concernée le droit de vérifier si des données personnelles sont traitées, d’y accéder, et d’en obtenir une copie – dans la limite du respect des droits d’autrui.
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Un usage possible de ce droit à des fins probatoires ?
Cette décision soulève une question importante : un salarié, y compris après la fin de son contrat de travail, peut-il utiliser le RGPD pour obtenir la copie de l’ensemble de sa messagerie professionnelle ?
L’enjeu est notable, car aujourd’hui en cas de licenciement notamment, l’accès aux éléments de preuve nécessaires à une éventuelle contestation devient difficile.
Néanmoins, dans cette affaire, l’avocat général a exprimé des réserves. Selon lui, le RGPD ne vise pas à permettre au salarié de conserver une copie complète de ses échanges professionnels. Il met en garde contre un usage dévoyé de ce droit, qui pourrait permettre à un salarié occupant des fonctions sensibles d’exiger la restitution de la totalité de ses messages professionnels en partant.
Se pose également la question du moyen de communication de ces données personnelles.
La Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur la forme que doit prendre la transmission. Cependant, la CNIL admet que les informations peuvent être communiquées soit sous forme de copies de courriels, soit par extraction (exemple : tableau récapitulatif des données pertinentes).
La Cour de cassation ne s’est pas non plus prononcée sur les possibilités de refus de l’employeur à une telle demande. A priori, il peut refuser uniquement si la communication des éléments demandés est de nature à porter atteinte aux droits et aux libertés d’autrui.
A défaut de motif légitime, le non-respect du droit d’accès peut entraîner une amende de 5ème classe. En outre, si le salarié subit un préjudice du fait de ce manquement, il peut en obtenir réparation devant les juges.
En revanche, aucun texte ne permet pour l’instant de procéder à une injonction de l’employeur de transmettre les données. Le conseil de prud’hommes de Paris l’a confirmé dans un jugement récent : l’objectif du droit d’accès est de vérifier la conformité du traitement des données, et non de produire des éléments de preuve dans un litige (Conseil de prud’hommes de Paris, 23 avril 2024, n° 21-10466).
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