La liberté d’expression d’un salarié ne peut être sanctionnée, sauf abus

(Cour de cassation, chambre sociale, 8 novembre 2023, n°21-25.990)

Dans le cadre de leur travail, les salariés bénéficient d’une liberté d’expression qui va s’appliquer dans l’entreprise, mais aussi hors de l’entreprise. Cela signifie que tout salarié peut émettre des propositions, des suggestions et des critiques, dès lors qu’il ne tient pas de propos injurieux ou diffamatoire.

La liberté d’expression est protégée par l’article L. 2281-1 du code du travail qui vise le droit d’expression collective des salariés, qui peuvent ainsi s’exprimer de manière directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail.

Il s’agit également d’une liberté fondamentale dont le salarié jouit en tant que citoyen.

Dans cette affaire de novembre dernier, un salarié avait envoyé un courriel dans lequel il reprochait à son supérieur hiérarchique une agitation inappropriée, une gestion douteuse des entretiens annuels, une organisation délétère et des conduites abusives au sein du service.

Son employeur a considéré que les propos et le ton du mail étaient dénigrants et déplacés, et a donc sanctionné le salarié par un avertissement. Ce dernier a décidé de contester son avertissement en justice.

La Cour de cassation va rappeler que le salarié jouit, en vertu de l’article L. 1121-1 du code du travail, d’une liberté d’expression dans l’entreprise et en dehors de l’entreprise, dès lors qu’il ne commet aucun abus résultant de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs.

La Haute Juridiction va considérer qu’il n’y avait pas, en l’espèce, d’abus dans la liberté d’expression. D’une part, car le courriel avait été envoyé uniquement au supérieur hiérarchique concerné, d’autre part, car il avait été rédigé en des termes qui n’étaient pas injurieux, diffamatoires ou excessifs.

 

L’employeur a 10 jours à compter de la délibération du CSE pour contester la nécessité d’une expertise

(Cour de cassation, chambre sociale, 18 octobre 2023 n° 22-10.761)

L’employeur, qui soutiendrait que l’expertise commandée par le CSE est une expertise libre et non une expertise rattachée à une consultation récurrente qu’il lui reviendrait de financer intégralement, doit saisir le tribunal judiciaire dans les 10 jours à compter du jour où il a été mis en mesure de connaitre la nature et l’objet de l’expertise. Passé ce délai, toute action de l’employeur sur la question sera considérée comme irrecevable. C’est ce qu’a confirmé la Cour de cassation, dans son arrêt du 18 octobre dernier.

En l’espèce, le CSE a décidé en réunion plénière du recours d’un expert-comptable pour l’assister en vue de la consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise et celle sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi.

Pour rappel, le Code du travail donne la possibilité au CSE de se faire assister par un expert-comptable dans le cadre de ces deux consultations annuelles obligatoires, en laissant leur financement à la charge intégrale de l’employeur.

L’employeur ayant versé un acompte à l’expert, ce dernier présente ses conclusions en réunion plénière. Une fois sa mission terminée, le cabinet d’expertise envoie sa facture définitive pour le paiement de son solde d’honoraires à l’employeur.

Contestant le paiement de cette facture, l’employeur assigne la société d’expertise en remboursement de l’acompte versé et refuse de s’acquitter de la facture définitive au motif que les délibérations du comité concernant la désignation de l’expert-comptable ne rentraient pas dans le cadre des consultations annuelles obligatoires, mais constituaient des expertises libres dont il n’avait pas à prendre en charge le coût.

Les juges du fond déboutent l’employeur de ces demandes au motif que son action était prescrite et le condamne, par conséquent, au paiement intégral des expertises.

Contestant cette décision, l’employeur se pourvoit en cassation. En effet, il se considère dans son droit car il ne conteste pas le coût des expertises, mais bel et bien son obligation de paiement de l’expert. En effet, ces expertises ayant été décidées par le CSE avant même la transmission des comptes par l’employeur au comité ou de la mise à disposition des documents comptables dans la BDESE, elles devaient être considérées comme des expertises libres et par conséquent, leur financement, devait être intégralement assumé par le comité.

La Cour de cassation rejette les arguments de l’employeur.

La Haute Cour admet que l’employeur ne remet pas en cause le montant de l’expertise mais uniquement son obligation de paiement de l’expert. Que le CSE avait fait appel à un expert, sans savoir si cette expertise serait réellement nécessaire puisqu’au moment de la délibération, le CSE n’avait pas encore en sa possession, les informations utiles concernant les consultations récurrentes. Toutefois, les juges considèrent que l’employeur était nécessairement au courant de la résolution que le CSE allait adopter concernant le recours à l’expert et ses conséquences puisque le vote du comité s’était déroulé en réunion plénière, auquel l’employeur avait assisté. Par conséquent, l’employeur aurait dû contester la nécessité de l’expertise dans les 10 jours suivant la délibération du CSE et non attendre de recevoir la facture définitive pour contester.

En définitif, l’employeur qui souhaite contester une expertise doit être particulièrement vigilant quant à la détermination du point de départ du délai de recours, sous peine de voir son action refusée par les juges.

 

Des précisions sur l’action collective des syndicats en matière d’égalité de traitement

(Cour de cassation, chambre sociale, 22 novembre 2023, n°22-14.807)

 Dans ce cas d’espèce, une organisation syndicale a saisi le tribunal judiciaire afin de faire reconnaitre une inégalité de traitement. En effet, certains salariés bénéficiaient du versement d’une prime de 13ème mois, tandis que d’autres salariés ne percevaient pas cette prime. Selon le syndicat, cette inégalité de traitement porte nécessairement atteinte à l’intérêt collectif de la profession qu’il représente.

Ainsi, l’organisation syndicale demande que soit mis fin à cette inégalité de traitement, en ordonnant d’une part le versement d’une prime de 13ème mois pour les salariés qui n’en bénéficiaient pas jusqu’alors, et d’autre part une régularisation de la situation dans la limite de la prescription triennale.

La Cour d’appel va rejeter la demande du syndicat, au motif qu’une atteinte à l’intérêt collectif de la profession ne peut pas être invoquée. Selon les juges du fond, il s’agit d’une revendication d’un droit lié à la personne, pour lequel le syndicat n’est pas fondé à réaliser une action collective.

Les juges du fond vont rappeler l’existence de l’article L. 2132-3 du code du travail qui prévoit que les organisations syndicales ont le droit d’agir en justice concernant des faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’elles représentent.

La Cour de cassation va rendre une décision nuancée. Selon elle, un syndicat est compétent pour agir en justice en vue de faire reconnaitre l’existence d’une irrégularité commise par un employeur au regard du principe d’égalité de traitement. Le syndicat peut demander qu’il soit enjoint à l’employeur de régulariser la situation pour l’avenir, y compris sous astreinte, et peut demander une réparation du préjudice porté à l’intérêt collectif.

Toutefois, la Cour de cassation estime que l’action du syndicat est irrecevable pour la partie concernant la régularisation individuelle des salariés ne bénéficiant pas du versement de la prime de 13ème mois.