Une mise à pied disciplinaire à l’encontre d’un salarié protégé ne nécessite pas son accord préalable
(Cour de cassation, chambre sociale, 11 décembre 2024, n°23-13.332)
Lorsque l’employeur envisage de sanctionner un salarié protégé qui dispose donc d’un mandat syndical ou de représentant du personnel, il ne peut pas lui imposer une modification de son contrat de travail ou de ses conditions de travail sans son accord préalable. Cela va notamment concerner la rétrogradation disciplinaire qui implique un déclassement du salarié, ou encore la mutation disciplinaire qui va engendrer une modification du lieu de travail.
Dans l’affaire du 11 décembre dernier, un salarié protégé a reçu une notification de mise à pied disciplinaire pour une durée de 5 jours. Il décide de saisir le conseil de prud’hommes afin d’obtenir l’annulation de cette sanction.
Les juges du fond vont statuer en faveur du salarié, considérant que la sanction a entraîné des conséquences sur la rémunération du salarié et sa durée du travail. A ce titre, les juges considèrent que l’employeur aurait dû laisser la possibilité au salarié de refuser cette mesure disciplinaire. L’employeur va de son côté se pourvoir en cassation, considérant que la mise à pied disciplinaire ne modifie en rien le contrat de travail ou les conditions de travail du salarié, bien qu’elle suspende provisoirement l’exécution du contrat et la rémunération.
La Cour de cassation va donner raison à l’employeur. Elle rappelle que la mise à pied disciplinaire n’emporte ni modification du contrat de travail ni changement des conditions de travail. Par conséquent, l’accord du salarié n’est pas requis pour prononcer une telle sanction.
Par ailleurs, la Haute Juridiction ajoute que la mise à pied disciplinaire n’a pas pour effet de suspendre le mandat du salarié protégé.
Avant de licencier un salarié protégé pour insuffisance professionnelle, l’employeur n’est plus obligé d’essayer de le reclasser
(Conseil d’Etat, 2 décembre 2024, n° 487954)
L’insuffisance professionnelle se définit comme l’incapacité d’un salarié à exécuter son travail de façon satisfaisante. Cette insuffisance se caractérise par des négligences, des erreurs, par une mauvaise qualité du travail, sans que cela ne soit un comportement volontaire de la part du salarié. En effet, l’insuffisance professionnelle ne revêt pas un caractère fautif, elle échappe donc à la procédure disciplinaire. Toutefois, pour justifier d’un licenciement pour insuffisance professionnelle, l’employeur devra prouver que les manquements du salarié sont persistants et qu’ils revêtent une certaine importance.
Lorsque l’employeur envisage de licencier un salarié protégé, il doit demander à l’inspecteur du travail, l’autorisation de rompre le contrat de travail. Jusqu’à présent, une jurisprudence constante du Conseil d’Etat estimait que lorsque le licenciement d’un salarié protégé pour insuffisance professionnelle était envisagé, l’inspecteur du travail devait vérifier que l’insuffisance reprochée n’avait aucun rapport avec les fonctions représentatives ou l’appartenance syndicale du salarié et que l’employeur avait procédé à une réelle recherche de reclassement. L’objectif était que le licenciement n’était qu’un dernier recours.
Cependant, cette obligation de reclassement dans le cadre d’un licenciement pour insuffisance professionnelle n’est prévue par aucun texte de loi, comme cela peut l’être pour un licenciement économique ou un licenciement pour inaptitude, mais a été imposée au fil du temps par la jurisprudence et confirmée par l’administration.
Mais tout d’un coup, sans que personne ne puisse le prévoir, revirement de jurisprudence de la part du Conseil d’Etat, dans cet arrêt du 2 décembre 2024.
Dans cette espèce, une entreprise souhaite licencier un de ses salariés protégés pour insuffisance professionnelle. Elle demande alors l’autorisation à l’inspecteur du travail. Ce dernier lui refuse le licenciement. L’employeur fait alors appel de cette décision devant le ministre du travail puis devant le tribunal administratif. Ces derniers rejettent ses demandes. Il décide alors de porter son affaire devant la cour administrative d’appel, qui, cette fois, accède à ses demandes en annulant le jugement de première instance et les décisions de refus de l’inspecteur du travail et du ministre.
Les juges du fond considèrent en effet que l’employeur a réussi à démontrer une multitude de manquements professionnels de la part du salarié qui se sont écoulés sur une période d’une année et qui ont été causés par sa promotion importante et extrêmement rapide. Les juges estiment que l’employeur a bien rempli son obligation d’adaptation et de formation en accordant les formations demandées par le salarié et rappellent « qu’aucun texte législatif ou réglementaire ni aucun principe n’impose une obligation de reclassement à un employeur qui souhaite licencier un salarié auquel il reproche une insuffisance professionnelle, les dispositions du code du travail ne prévoyant une telle obligation que dans les hypothèses où le licenciement est justifié soit par un motif économique soit par l’inaptitude physique du salarié ».
Le Conseil d’Etat suit la position de la cour administrative d’appel en faisant une volte-face inattendue. En effet, pour les juges, l’employeur n’a pas d’obligation de reclassement, qui n’avait d’ailleurs jamais été reconnu par le juge judiciaire pour les salariés « ordinaires », mais une obligation d’adaptation au poste de travail. En effet, cette obligation d’adaptation résulte de l’article L.6321-1 du code du travail qui dispose que : « l’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations ».
L’employeur ne peut donc licencier un salarié pour insuffisance que si tous les moyens en temps et en formation ont été donnés au salarié pour qu’il puisse faire ses preuves.
L’obligation de reclassement a donc été échangée par une obligation d’adaptation, laquelle doit être strictement contrôlée par l’autorité administrative. A défaut de respect de cette nouvelle obligation, la demande d’autorisation de licenciement doit être rejetée ou le cas échéant, annulée.
Cette évolution jurisprudentielle offre un autre équilibre entre les impératifs de gestion des entreprises et la protection des droits des salariés protégés. Cependant, elle pourrait recevoir des critiques de la part des syndicats qui pourraient y voir la porte ouverte à un affaiblissement des garanties offertes aux représentants du personnel.
Une prime versée par erreur pendant une longue période peut se transformer en droit acquis
(Cour de cassation, chambre sociale, 4 décembre 2024, n°23-19.528)
En droit, il existe un principe selon lequel l’erreur n’est pas créatrice de droit. Néanmoins, dans un arrêt rendu le 13 décembre 2023 (n°21-25.501), la Cour de cassation a jugé qu’une prime pouvait devenir contractuelle à la suite d’une erreur prolongée de l’employeur. Dans cette affaire, un défaut de paramétrage du logiciel de paie avait conduit un employeur à verser par erreur une prime à un salarié pendant sept ans.
Dans une récente affaire du 4 décembre dernier, une salariée avait perçu, entre 1994 et 2014, une prime d’ancienneté conventionnelle à laquelle elle n’était pas éligible. L’employeur avait corrigé cette erreur en 2015. Contestant cette suppression, la salariée avait saisi les tribunaux pour réclamer le rétablissement de la prime et un rappel de salaire à compter de 2015.
Les juges du fond ont rejeté sa demande au motif que l’erreur n’est pas créatrice de droit.
La Cour de cassation va censurer l’arrêt d’appel. Elle considère que le versement ininterrompu de cette prime pendant 20 ans avait transformé cette allocation d’ancienneté en un élément de rémunération, indépendamment des conditions prévues par la convention collective.
La décision du 4 décembre 2024 vient donc confirmer l’étonnante décision rendue en 2023. Désormais, une erreur prolongée finit par devenir un élément contractuel empêchant ainsi l’employeur de la corriger. La durée de l’erreur joue toutefois un rôle crucial dans cette analyse, l’ancienneté des versements renforçant leur intégration dans le contrat de travail.