Est-il possible de conclure une rupture conventionnelle avec un salarié protégé victime de harcèlement et de discrimination ?
(Conseil d’Etat, 13 avril 2023 n°459213, A)
Un représentant du personnel peut négocier son départ dans le cadre d’une rupture conventionnelle. Contrairement à un salarié sans mandat, la rupture conventionnelle doit être autorisée par l’inspecteur du travail.
Une question se pose : l’existence de faits de harcèlement moral ou de discrimination au moment de la conclusion de la rupture conventionnelle avec un représentant du personnel permet-elle de faire annuler la rupture ?
La réponse est négative. Pour le Conseil d’Etat, sauf vice du consentement, harcèlement moral et discrimination n’empêchent pas par eux-mêmes la rupture.
En l’espèce, un salarié protégé avait intenté une action devant le juge judiciaire pour harcèlement moral et discrimination syndicale et obtenu gain de cause en appel. Dans ce cadre, il avait demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Dans le même temps, l’employeur avait engagé une procédure de licenciement. Le licenciement n’ayant pas été autorisé par l’inspecteur du travail, les parties ont négocié une rupture conventionnelle.
Le salarié a par la suite demandé l’annulation de cette rupture au motif que son consentement avait été vicié du fait du harcèlement et de la discrimination qu’il subissait.
La cour administrative d’appel et le Conseil d’Etat ne font pas droit à la demande du salarié. L’existence de faits de harcèlement moral ou de discrimination syndicale n’ont pas eu dans cette affaire un impact sur le consentement du salarié. Or, seul le vice du consentement justifie l’annulation de la rupture.
Le Conseil d’État adopte la même position que la Cour de cassation à propos de salariés sans mandat. Pour cette dernière, aucune circonstance ne permet, par elle-même, d’annuler la rupture conventionnelle. Ainsi, la rupture n’est pas nulle du seul fait de l’existence d’un différend opposant les parties au moment de sa conclusion ou de faits de harcèlement. C’est seulement si l’examen des circonstances met en évidence un vice du consentement que la rupture est annulée.
Harcèlement moral : l’abandon de la qualification des faits dénoncés
(Cour de cassation, chambre sociale, 19 avril 2023, n° 21-21.053)
Selon les articles L. 1152-1 et suivants du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir subi, refusé de subir ou dénoncé des agissements de harcèlement moral. Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance de ces dispositions est nulle.
Dans un arrêt du 13 septembre 2017, la Cour de cassation avait précisé que le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut bénéficier de la protection prévue par la loi contre le licenciement que s’il a clairement qualifié les faits de la sorte.
L’arrêt du 19 avril 2023 revient sur cette position. Désormais, le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral n’a plus besoin de qualifier les faits.
Dans cet arrêt, une salariée est licenciée pour faute grave à la suite d’un courrier envoyé à des membres du conseil d’administration de l’association dans laquelle elle travaille. Dans ce courrier, la salariée mettait en cause l’attitude et les décisions prises par son supérieur. Ces derniers avaient entraîné une dégradation de ses conditions de travail.
La salariée saisit le conseil des prud’hommes au motif que le licenciement avait pour cause la dénonciation des faits de harcèlement moral.
L’employeur fait valoir le fait que le terme « harcèlement moral » n’ayant pas été utilisé dans son courrier, elle ne peut bénéficier de la protection prévue par le code du travail.
Les juges du fond et la Cour de cassation reconnaissent l’existence d’un harcèlement moral et prononcent la nullité du licenciement.
Pour la Cour, «il y a lieu désormais de juger que le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu’il n’ait pas qualifié lesdits faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce ».
Rappel sur les règles de désignation du délégué syndical
(Cour de cassation, chambre sociale, 19 avril 2023, n°21-60.127)
Pour rappel, l’article L. 2143-3 du code du travail fixe les règles relatives à la désignation du délégué syndical. Notamment, ce dernier doit avoir recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés aux dernières élections.
Cet article prévoit cependant que s’il ne reste plus aucun candidat remplissant les conditions requises ou que tous les candidats ayant obtenu 10 % des suffrages renoncent par écrit au droit d’être désigné délégué syndical, le syndicat peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents de l’entreprise, ou à défaut parmi ses anciens élus ayant atteint la limite des trois mandats successifs.
Dans cette affaire du 13 avril 2023, le syndicat CGT avait présenté quatre candidats aux dernières élections professionnelles du CSE en 2018. En septembre 2020, la CGT a désigné un délégué syndical parmi un de ses adhérents.
En effet, deux de ses candidats avaient entre temps quitté l’entreprise et un autre candidat avait expressément renoncé par écrit à son mandat de délégué syndical. Pour le quatrième candidat, la CGT a considéré qu’elle pouvait désigner le délégué syndical parmi ses adhérents car celui-ci n’était pas à jour dans ses cotisations.
Les juges du fond estiment quant à eux que la priorité aurait dû être donnée au quatrième candidat, quand bien même il n’était pas à jour dans ses cotisations syndicales.
La Cour de cassation va casser et annuler le jugement d’appel, en précisant que les juges du fond auraient dû vérifier si le quatrième candidat avait renoncé à son mandat de délégué syndical et s’il ne cotisait plus depuis deux ans à l’union locale.
La Haute Cour considère que le quatrième candidat ne faisait plus partie de la CGT en raison du fait qu’il ne s’acquittait plus de ses cotisations. Aussi, la désignation d’un délégué syndical parmi les adhérents du syndicat se justifiait donc.