Avec le développement du télétravail, la question de savoir si les salariés en télétravail devaient bénéficier de titres-restaurant au même titre que ceux présents sur site a fait l’objet de plusieurs décisions de justice, venues préciser les contours du principe d’égalité de traitement.
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Des positions divergentes quant à l’accès des télétravailleurs aux titres-restaurant
Jusqu’à récemment, les juges ne s’étaient pas accordés sur une position commune concernant le droit des télétravailleurs aux titres-restaurant. En 2021, deux décisions de première instance ont créé un flou juridique sur cette question.
La première décision du 10 mars 2021, rendue par le tribunal judiciaire de Nanterre, considérait que les salariés en télétravail ne se trouvaient pas dans une situation comparable à celle des salariés présents sur site. A ce titre, ils ne devaient pas bénéficier des titres-restaurant.
A l’inverse, une seconde décision rendue le 30 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Paris considérait que les télétravailleurs devaient bénéficier des tickets restaurant, dès lors qu’une pause repas était comprise dans leur journée de travail.
Le Ministère du Travail avait quant à lui répondu à cette question dans un questions-réponses portant sur le télétravail, et mis en avant l’article L. 1222-9 du code du travail selon lequel « le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise ». En vertu de ce principe d’égalité de traitement, le Ministère du Travail affirmait que les salariés en télétravail devaient également recevoir des titres-restaurant.
Le BOSS (Bulletin Officiel de la Sécurité Sociale) avait adopté une position similaire au Ministère du Travail, dès lors que les salariés en télétravail justifiaient bien d’une pause méridienne réservée à la prise d’un repas.
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Le télétravail ne saurait justifier le refus d’attribuer des titres-restaurant
Dans une première décision du 8 octobre 2025 (n°24-12.373), un salarié réclamait à son employeur le versement d’un rappel de salaire correspondant à la part patronale des titres-restaurant non perçus entre mars 2020 et mars 2022, période durant laquelle il était en télétravail.
Les juges du fond ont fait droit à la demande du salarié. À la suite de cette décision, l’employeur forme un pourvoi en cassation, soutenant que les juges n’avaient pas démontré l’existence d’un motif prohibé à l’origine de la différence de traitement entre les salariés sur site et les télétravailleurs, ni établi que leurs situations étaient réellement comparables.
La Cour de cassation va confirmer le jugement rendu par les juges du fond. Pour motiver sa position, elle s’appuie sur trois dispositions du code du travail.
Elle rappelle d’abord que l’article L. 1222-9 du code du travail prévoit que le télétravailleur bénéficie des mêmes droits que celui qui exerce son activité dans les locaux de l’entreprise.
Ensuite, la Haute Juridiction rappelle que le titre-restaurant constitue un moyen de paiement particulier, remis par l’employeur pour permettre au salarié de régler tout ou partie de son repas pris au restaurant ou auprès de certains commerçants.
Enfin, la Cour rappelle que l’article R. 3262-7 du code du travail prévoit qu’un salarié ne peut percevoir qu’un seul titre-restaurant par repas inclus dans son horaire de travail journalier, ce qui revient à dire que le seul critère d’attribution réside dans la présence d’un repas pendant la journée de travail.
La Cour de cassation en déduit donc que le simple fait de travailler à distance ne peut justifier un refus d’octroi des titres-restaurant.
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Des télétravailleurs peuvent être exclus des titres-restaurant, à condition de justifier d’une raison objective et pertinente
Dans une seconde décision rendue le 8 octobre dernier (n° 24-10.566), la Cour de cassation nuance sa position. Elle admet que l’employeur puisse exclure certains salariés du bénéfice des titres-restaurant, à condition de respecter strictement le principe d’égalité de traitement. Autrement dit, tous les salariés placés dans une situation comparable doivent pouvoir en bénéficier, sauf si des raisons objectives et pertinentes et préalablement définies justifient un traitement distinct.
En l’espèce, l’entreprise avait instauré la distribution des titres-restaurant par usage, en faveur des salariés n’ayant pas accès au restaurant d’entreprise en raison de leur localisation ou de la nature itinérante de leurs fonctions.
La Cour a jugé que cet avantage ne pouvait être suspendu pour les salariés en télétravail tant que l’usage n’avait pas été régulièrement dénoncé. Elle a estimé que tous les salariés se trouvaient dans une situation équivalente vis-à-vis de l’accès à la restauration et qu’il n’était donc pas possible d’en priver certains au seul motif de leur mode d’organisation du travail.
Cette décision ouvre toutefois la voie à une marge d’appréciation pour l’employeur : il reste possible d’exclure certains télétravailleurs du dispositif, à condition de démontrer objectivement que leurs conditions de restauration diffèrent de celles des salariés sur site.
Il appartiendra à la jurisprudence ultérieure de préciser concrètement les situations pouvant justifier une telle différence de traitement.
Nous y répondons dans le cadre de notre assistance en relations du travail pour les CSE.
