Avec le développement de l’intelligence artificielle (IA), de nouveaux contentieux émergent. L’une des principales questions était de savoir si le CSE devait être consulté avant la mise en place d’outils utilisant l’IA au sein de l’entreprise. Nous allons nous pencher sur la décision du tribunal judiciaire de Paris, rendue le 2 septembre 2025 (n°25/53278).
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Exposé des faits du litige
En l’espèce, une société décide de mettre en place une plateforme sécurisée donnant accès à différents outils d’IA générative, avec la possibilité de créer un assistant personnalisé dédié à certaines tâches ou à des documents spécifiques. Cette solution est testée depuis le deuxième trimestre 2024 par 800 collaborateurs et devrait ensuite être ouverte à l’ensemble des salariés du groupe.
La Direction déploie également une nouvelle version de l’assistant conversationnel RH, déjà utilisé par tous les salariés depuis novembre 2022, afin de répondre de façon plus précise aux questions et d’offrir des échanges plus interactifs.
En vertu de l’article L. 2312-8 du code du travail, le CSE central demande à être consulté sur les deux dispositifs. La société refuse, estimant que ces outils ne constituent pas l’introduction d’une nouvelle technologie et n’ont pas d’incidence sur les conditions de travail.
Le CSE central saisit le tribunal judiciaire, sollicitant la reconnaissance d’un trouble manifestement illicite. Il demande à la fois que la consultation du CSE central soit ordonnée et que la mise en œuvre des projets soit suspendue dans l’attente de cette consultation.
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Un outil utilisant l’IA doit s’entendre comme une nouvelle technologie
Le tribunal judiciaire rappelle que le CSE doit être consulté « avant toute manifestation de volonté d’un organe dirigeant qui, obligeant l’entreprise, est suffisamment déterminée pour avoir une incidence sur son organisation, sa gestion ou sa marche générale. Il importe peu que cette décision ne soit pas accompagnée à ce stade de mesures précises et concrètes, dès lors que la discussion ultérieure de ces mesures d’application n’est pas de nature à en remettre en cause le principe ».
Les juges du fond relèvent par ailleurs que l’obligation de consultation du CSE relative à « l’introduction de nouvelles technologies » mentionnée à l’article L. 2312-8 du code du travail figure désormais aux côtés de celle concernant « tout aménagement important », sans être limitée aux incidences sur la santé, la sécurité ou les conditions de travail.
Ainsi, il n’est pas nécessaire qu’un impact sur ces domaines spécifiques soit démontré. Il suffit que la nouvelle technologie soit susceptible d’affecter la situation des travailleurs.
Enfin, le juge estime qu’une technologie faisant appel à l’IA constitue une « technologie nouvelle ».
Le tribunal judiciaire souligne que ces technologies peuvent, certes, apporter des avantages aux salariés, notamment en termes de gain de temps, mais qu’elles sont aussi susceptibles d’entraîner des effets négatifs, comme une perte d’autonomie, d’initiative ou de réflexion, voire une intensification du travail. Il rappelle donc que l’obligation de consulter le CSE s’impose dès lors qu’un projet implique soit l’introduction de nouvelles technologies, soit la mise en place d’un projet important ayant un impact sur les conditions de travail.
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L’incidence sur les conditions de travail : la condition essentielle justifiant une consultation du CSE
En l’espèce, le juge constate que la mise en place d’une plateforme offrant un accès sécurisé aux outils d’IA générative correspond à l’introduction d’une technologie nouvelle. De plus, l’employeur a prévu un module de formation spécifique pour accompagner son utilisation et en faciliter l’accès.
Quant à ses effets sur la situation des salariés, le juge précise que, même si les répercussions exactes ne sont pas encore connues — notamment en matière d’impact sur certains postes et sur l’emploi en général — les documents d’information remis au CSE central indiquent que l’outil vise à accroître l’efficacité opérationnelle grâce à l’autonomisation, tout en permettant aux utilisateurs de concevoir leurs propres assistants.
Le juge considère donc que le CSE central doit impérativement être consulté avant tout déploiement généralisé de la plateforme. Dans cette attente, la mise en service de cet outil est suspendue.
Néanmoins concernant l’autre outil, à savoir la nouvelle version du chatbot RH, le tribunal judiciaire considère qu’il ne s’agit ni d’une nouvelle technologie, ni d’un projet important impactant les conditions de travail.
En effet, il s’agit d’une version qui utilise des techniques proches, sans grand changement. Par ailleurs, aucune formation n’est prévue pour accompagner les salariés dans le cadre du passage à la nouvelle version. A ce titre, aucune consultation du CSE central n’était requise.
Nous y répondons dans le cadre de notre assistance en relations du travail pour les CSE.
